mercredi 22 mai 2013

Istanbul



Quelques errances istanbouliotes (en couleur chose rarissime) 


[Istanbul, mai 2013]

mercredi 8 mai 2013

Tanger - Detroit de Gibraltar (4)


Je vois des flots coquins danser maquillés d’une blanche écume,
Lui, voit une mâchoire pouvant briser rêve et vie.

Je vois une plage de sable où se prélasser oisif,
Lui, voit un embarcadère à partir duquel il faudra renoncer à tous appuis solides.

Je vois la côte espagnole,
Lui, voit aussi la côte espagnole.

Je vois 14 km d’un tendre bras de mer,
Lui, voit un océan.

Je vois un chapitre de mon livre d’histoire et le sujet d’une de mes épreuves de géographie,
Lui voit un chapitre de son histoire et une désolante épreuve dressée par la géographie.

En fait, je ne vois rien de particulier…
Lui voit l’enjeu d’une vie ! 

[Maroc, Tanger, détroit de Gibraltar - Avril 2013] 

mardi 7 mai 2013

En contemplant le détroit de Gibraltar


Un jour, un homme, des hommes,
Tracent une ligne sur un bout de papier,
Déposent leurs armes sur les flans opposés d’une verte vallée,
Glissent quelques fortunes dans les bonnes mains,
Stoppent leurs montures sur les rives d’un fleuve trop tumultueux

Au départ les tensions perdurent,
S’apaisent,
Un jour cela fait consensus, ou presque…
Une énième frontière est née.

Désormais, d’un côté, on jugera légitime de se vautrer dans l’opulence, de banqueter tout en  contemplant nos voisins "de la mauvaise rive" consommer leurs famines
Les exploitant tantôt, c’est si simple, ils sont si faibles.
Et …
Et "les autres", enfin je veux dire : les étrangers, qu’ils crèvent ! La ligne est tracée !
Ils se briseront désormais sur ce trait de crayon de jadis devenu une herse à empaler les espoirs.
D’ailleurs je ne suis pour rien, n’est-ce pas ?

Qu’ils crèvent !
Certes, je ne le dis pas … je suis éduqué.
D’ailleurs je ne le pense même pas, car éduqué, je sais que côtoyer certaines réflexions n’est pas sain !
Ca me rend morose de savoir que les autres claquent… Le soleil brille aujourd’hui !

Partager ?
Tu ne comprends donc rien ! Et pourquoi moi ? Quoique, en considérant l’exploitation comme une forme aboutie et moderne du partage, alors oui, je puis m’y adonner.

Oui, je suis Chrétien pourquoi ? Même athée, oui évidemment, j’ai des valeurs !
Mais que veux-tu dans mon œil la poutre de la crise trouble ma vision, comment encore percevoir la paille de la misère ?

Allez, qu’ils crèvent
D’ailleurs je divague pourquoi ces mesquineries sur le rien, le peu, le sec, l’inutile …


[Maroc, Tanger & détroit de Gibraltar - Avril 2013] 
 

lundi 6 mai 2013

Tanger - Detroit de Gibraltar (2)


 Assis à côté de lui, je me perds dans ses yeux.

Son regard perce,
scrute la côte brumeuse que l’on distingue sans peine,
tente de lire l’indéchiffrable,
n’y décèle vraisemblablement rien dont il pourra se servir le jour de…
La veille, un coreligionnaire laisser échapper : « certains y restent »
Assurément, l’espoir est de toutes les forces dont la nature nous a pourvu la plus profonde, la plus endurante et la plus noble… mais « certains y restent ». L’oublier ? Impossible. L’ignorer : le plus possible.
Son regard perce, mais rien ne perce de ses états d’âme.
Angoisse ? excitation ? stratégie ?
Entre son rêve, incarné dans ce regard et son être pesant, il y a, en cette seconde, un abime. On ne saurait savoir combien est amère cette masse, et combien ce corps se vit comme un boulet.   
Sa pupille suit la course d’un goéland, la gorge est serrée.
Ravaler ses soupirs,…
un jour …

Son regard perce, mais infiniment plus puissant est le regard de ceux qui travaillent à mettre en lambeau son rêve.

Son regard perce, et si inch’Allah, les 14 km de cette lame impitoyable ne l’emporte, alors de l’autre côté, c’est lui qui sera percé de regards… mais ceci est déjà une autre histoire

[Maroc, Tanger & détroit de Gibraltar - Avril 2013] 
 

Tanger - Detroit de Gibraltar


Il m’a dit être footballeur professionnel, que l’Europe sera le tremplin de sa carrière, il en est certain.
5 fois il a tenté cette traversée. 5 fois il a échoué. Alors il attend la 6ème, ce moment viendra dès qu’il aura réamassé assez d’argent. Il faut 1000 euros. C’est très long mille euros, … ça fait plus de 5 ans, qu’il est englué sur ces côtes marocaines. 1000 euros de p’tits boulots.
« 80 %, oui 80 % minimum des blacks que tu vois ici sont là pour traverser ».
« Regarde ». Il sort son portable. « Ca c’est un pot qui a réussi il va m’aider. Oui, lui est en Espagne. Grâce à lui ça marchera, il va m’aider ».
Une laide et large cicatrice cisèle son avant bras… alors il régurgite en propos chaotiques la violence policière : «gens tués, là dans la forêt, tirs, oui sur le bateau, 2 survivants, interceptés, peur, cachés, … J’ai des preuves ! »
Il baragouine les difficultés de sa vie ici : galères, racisme, attente, besoin de fric, du fric…  . Le retour ? Impossible. Mais oui, où ai-je la tête, footballeur, il me l’a déjà dit, oui. De toute façon il faut qu’il fasse fortune, pas question de retourner au pays les mains vides.
Il raconte les zodiacs, si Dieu le veut, la mer, si Dieu le veut,  la nuit, si Dieu le veut, les patrouilles, si Dieu le veut, … A nouveau le portable. Une photo. Combien sont-ils ? Impossible de le déterminer. L’espoir, encore l’espoir.
Bien sûr qu’il aura le statu de réfugié, pourquoi ne l’aurait-il pas ? Les autres : des tricheurs, lui l’aura. Pourquoi ? « … » Et de toute façon il n’y a qu’à lui donner un ballon et le monde comprendra !

J’ai tenté,… tenté seulement… de lui parler de ce qui l’attend "de l’autre côté"
Se dissimuler, craindre, être exploiter parfois, l’hostilité, la méfiance, peut être tantôt une
solidarité impuissante.
Le quasi impossible statu de réfugiés,
Le chômage,
La solitude parfois,
Les charters, 

Mais en proie à l’espérance, la réalité brute n’est rien,
Mes mots étaient des bulles soufflées par les vents de l’espoir
J’étais inaudible,
D’ailleurs, sa vie était pétrie de tant de difficultés, que vouloir diluer ses rêves aurait été une barbarie.
Je me suis tu, …par lâcheté
… et moi aussi j’ai espéré

[Maroc, Tanger & détroit de Gibraltar - Avril 2013]