Il m’a dit être footballeur professionnel, que l’Europe sera le tremplin de sa carrière, il en est certain.
5 fois il a tenté cette traversée. 5 fois il a échoué. Alors
il attend la 6ème, ce moment viendra dès qu’il aura réamassé assez
d’argent. Il faut 1000 euros. C’est très long mille euros, … ça fait plus de 5
ans, qu’il est englué sur ces côtes marocaines. 1000 euros de p’tits boulots.
« 80 %, oui 80 % minimum des blacks que tu vois ici
sont là pour traverser ».
« Regarde ». Il sort son portable. « Ca
c’est un pot qui a réussi il va m’aider. Oui, lui est en Espagne. Grâce à lui
ça marchera, il va m’aider ».
Une laide et large cicatrice cisèle son avant bras… alors il
régurgite en propos chaotiques la violence policière : «gens tués, là dans
la forêt, tirs, oui sur le bateau, 2 survivants, interceptés, peur, cachés,
… J’ai des preuves ! »
Il baragouine les difficultés de sa vie ici : galères,
racisme, attente, besoin de fric, du fric…
. Le retour ? Impossible. Mais oui, où ai-je la tête, footballeur,
il me l’a déjà dit, oui. De toute façon il faut qu’il fasse fortune, pas
question de retourner au pays les mains vides.
Il raconte les zodiacs, si Dieu le veut, la mer, si Dieu le
veut, la nuit, si Dieu le veut, les
patrouilles, si Dieu le veut, … A nouveau le portable. Une photo. Combien
sont-ils ? Impossible de le déterminer. L’espoir, encore l’espoir.
Bien sûr qu’il aura le statu de réfugié, pourquoi ne
l’aurait-il pas ? Les autres : des tricheurs, lui l’aura.
Pourquoi ? « … » Et de toute façon il n’y a qu’à lui donner un
ballon et le monde comprendra !
J’ai tenté,… tenté seulement… de lui parler de ce qui
l’attend "de l’autre côté"
Se dissimuler, craindre, être exploiter parfois,
l’hostilité, la méfiance, peut être tantôt une
solidarité impuissante.
Le quasi impossible statu de réfugiés,
Le chômage,
La solitude parfois,
Les charters,
Mais en proie à l’espérance, la réalité brute n’est rien,
Mes mots étaient des bulles soufflées par les vents de
l’espoir
J’étais inaudible,
D’ailleurs, sa vie était pétrie de tant de difficultés, que
vouloir diluer ses rêves aurait été une barbarie.
Je me suis tu, …par lâcheté
… et moi aussi j’ai espéré
[Maroc, Tanger & détroit de Gibraltar - Avril 2013]
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